Daniel Bouton

 

 

Mercredi 30 mars 2011, un bureau exigu dans les locaux de la société de conseil Eurazéo, au cœur du VIIIe arrondissement de Paris. Daniel Bouton a 61 ans. Il s’avance à petits pas, dans un couloir feutré, l’air ailleurs. Cet homme, qui a régné sur 150 000 employés, semble aujourd’hui loin de tout. Jamais nous n’aurions pensé qu’il se confierait ainsi, sur la bourrasque Kerviel, sur sa relation au pouvoir… Sarkozy a tout fait pour le déstabiliser, jusqu’à obtenir sa tête. Bouton ne s’en est jamais vraiment remis. Paroles d’un ex-homme fort.

 

Il parle doucement. Au temps de sa splendeur, pour espérer le rencontrer, il fallait passer par des agences de communication, obtenir l’accord de ses conseillers. Il ne faisait pas un mètre sans un aréopage de décideurs à ses côtés. Chacune de ses paroles pouvait faire plonger la Bourse. Il dirigeait la banque la plus rentable d’Europe. On le taxait d’arrogance, on stigmatisait sa froideur, on craignait ses jugements sans appel. Il était très respecté, mais peu aimé. Daniel Bouton, l’ancien patron de la Société Générale, a bien changé. Il a vécu l’affaire Kerviel, et, surtout, il a encouru les foudres de Nicolas Sarkozy. De quoi marquer un homme. Celui-là a appris l’humilité. « J’essaie de ne pas voir de journalistes, ni même d’historiens, histoire d’oublier ça, dit-il. S’agissant de Nicolas Sarkozy, je tire deux constats de ma propre expérience. 1) Il fait preuve d’une impulsivité pour le moins étrange à ce niveau de responsabilité. 2) Plus grave, chez lui, il y a ce qui est mûri, comme son fameux discours de Grenoble, et qui révolte le citoyen que je suis, notamment sur la double peine appliquée aux étrangers. »

Aujourd’hui, Bouton dirige une petite société de conseil, adossée à la banque Rothschild. Il aime toujours autant le golf et l’art lyrique. Simplement, il a plus de temps pour se consacrer à ses passions. Pour autant, et même s’il lui en coûte de s’y replonger, il a en tête chacune de ces journées folles, lors de cette terrible année 2008.

Ce dimanche 20 janvier, l’état-major de la Société Générale découvre les positions faramineuses prises par l’un de ses traders, Jérôme Kerviel. Près de 50 milliards d’euros de risques, des faux mails envoyés pour dissimuler ses agissements, un système de contrôle interne défaillant, le mécanisme infernal est en marche. Au final, la banque aura perdu près de 4,9 milliards d’euros dans l’affaire, malgré un débouclage intensif (la vente dans l’urgence, à perte, des dizaines de milliards de produits financiers achetés en sous-main par Kerviel) opéré en quelques jours dans la plus grande discrétion. La discrétion : le maître mot de cette affaire. Oui, Daniel Bouton n’en démord pas, il lui fallait agir dans le plus grand secret. Une attitude qui a sans doute permis le sauvetage de la banque, mais aussi causé la perte de son initiateur.

Daniel Bouton, lorsqu’il prend connaissance de cette fraude gigantesque, sans précédent, n’a qu’une idée en tête : sauver sa banque. La protéger des vautours du marché, au premier rang desquels on trouve la BNP. Un seul impératif : garder le silence absolu, tant que faire se peut. « Je prends la décision de ne pas avertir les autorités politiques. Je préviens en revanche l’Autorité des marchés financiers (AMF), régulateur boursier, et le gouverneur de la Banque de France, régulateur bancaire. » L’espace d’un instant, Daniel Bouton reprend le ton professoral et le raisonnement cartésien auxquels ses collaborateurs de la « SocGen » étaient habitués : « Je décide de ne pas prévenir Bercy pour deux raisons. La première, qui va énerver Sarkozy, c’est que la capacité d’un cabinet ministériel à tenir confidentielle une information est très limitée, dans tous les cas de courte durée. C’est structurel. Je n’ai même pas l’idée de prévenir le président de la République, et si j’avais averti la ministre de l’Économie, Mme Lagarde, elle aurait passé un coup de fil immédiat, sur le mode : “J’ai reçu un appel de Bouton, la Société Générale encourt 50 milliards d’euros de risques…” Il y avait une probabilité non nulle que huit ou dix personnes soient prévenues dans les deux ou trois heures, ce qui aurait déclenché un mouvement de panique aux conséquences incalculables. Il était impossible que l’homme public reste impavide devant cette information. Donc je ne prends pas ce risque. Seconde raison : si je préviens le ministère, je vais devoir gérer la ministre alors que j’ai autre chose à faire. Et la ministre serait associée d’une façon ou d’une autre à l’issue de l’affaire. Soit c’est une réussite : on n’a perdu que 5 milliards, l’issue a été heureuse certes, mais ça reste compliqué à assumer. Mais il faut aussi imaginer la possibilité que l’on se plante : crise de confiance, retrait des dépôts volatils de très grandes institutions financières… La ministre n’aurait évidemment rien à y gagner. Donc, en ne la prévenant pas, je la protège. Cette histoire, c’est lose-lose, perdant-perdant. En fait, j’ai offert au gouvernement français la possibilité de ne pas être mouillé dans ce qui aurait pu être une catastrophe. »

Donc, Daniel Bouton manage la crise, seul. En patron. Évidemment, il est entouré d’hommes de confiance, à qui il délègue la gestion de l’affaire au quotidien. Lui se concentre sur le big business. Il faut absolument souscrire une augmentation de capital, seule bouée de sauvetage à portée de vue, trouver les partenaires adéquats, lever des fonds. « Le lundi 21 janvier, je sais déjà que cette affaire va coûter une fortune, et que j’ai besoin de procéder à une augmentation de capital. Dans la soirée, je parviens à joindre JP Morgan et Morgan Stanley, et, le lendemain, les deux banques me donnent leur accord. J’ai donc à gérer mon augmentation de capital, et le débouclage des positions prises par Kerviel. La solution est arrivée en même temps, on est en gestion de crise. J’ai été très impressionné que ces deux grandes banques acceptent le deal, elles ont signé car c’était la Société Générale, avec sa réputation, et Bouton. »

Mais il est un risque que Daniel Bouton n’a pas su anticiper : la réaction de Nicolas Sarkozy. En ce lundi 21 janvier, le président de la République, qui s’apprête à s’envoler pour un déplacement officiel en Inde, n’est au courant de rien. C’est surprenant, mais les langues ne se sont pas déliées. Bouton et Sarkozy ne se connaissent pas. D’ailleurs, ils n’ont pas grand-chose en commun. Le patron de la Société Générale, petit-fils de cantonnier, orphelin de père à 13 ans, a fait Sciences-Po, puis l’ENA, il est inspecteur des finances, a dirigé le cabinet d’Alain Juppé à Bercy. Un parcours brillant de haut fonctionnaire. Tout ce que n’est pas le président de la République, dont la méfiance, vis-à-vis de ces brillantes mécaniques intellectuelles, purs produits de l’élite de l’administration française, est connue. Ils se sont croisés, au moins à deux reprises. La première fois, en 2004, lors du passage de Nicolas Sarkozy au ministère des Finances. « Je l’ai vu alors qu’il était à Bercy, j’étais président de la Fédération bancaire de France [FBF] et nous avions parlé, sous l’angle de la consommation, des tarifs des chèques et autres impayés. » La seconde, c’était l’année suivante, lorsque Nicolas Sarkozy présidait l’Établissement public d’aménagement de la Défense (EPAD). Daniel Bouton, patron de la Société Générale, est alors le plus gros employeur du quartier d’affaires. « Il avait organisé une réunion assez surréaliste, où il passait son temps à téléphoner à Cécilia, on était en pleine crise conjugale. Puis il était venu voir nos salles de marché, il était resté dans la tour une heure et demie… », se souvient Bouton. Bref, comme il le dit lui-même, Daniel Bouton n’est « pas un expert en Sarkozie ».

Et s’il l’avait été, s’il avait décelé l’agressivité de Nicolas Sarkozy, sa propension à réagir avec excès à toute situation, il n’est pas sûr pour autant que Daniel Bouton aurait procédé différemment. Dès le lundi 21 janvier au soir, il n’ignore pas qu’il va quand même devoir prévenir les autorités politiques. « Quand dois-je communiquer et vis-à-vis de qui ? Dès lundi soir, je sais que je ne peux pas continuer à cacher le truc, je suis censé rendre publics les chiffres de la banque le jeudi suivant. J’essaie donc de joindre Mme Lagarde le mardi soir, elle est en séance de nuit à l’Assemblée nationale, et François Pérol, secrétaire général adjoint de l’Élysée, que j’ai finalement au téléphone le mercredi matin vers 11 heures. Si j’avais voulu prévenir Sarkozy, je serais passé par le secrétariat général de l’Élysée. Mais ce sont eux, Lagarde et Pérol, mes référents. Je leur dis : “Je vous annonce une catastrophe, et sa solution.” En effet, le débouclage des positions est en cours, et j’ai mon augmentation de capital. » Daniel Bouton sent son interlocuteur de l’Élysée un peu vexé d’être informé du désastre financier quatre jours après la découverte des positions inconsidérées prises par Kerviel. Pour Bouton, l’essentiel est ailleurs. Il a évité une crise majeure : une faillite de la Société Générale aurait pu déclencher un séisme bancaire à l’échelle mondiale.

Sarkozy est prévenu, alors qu’il est arrivé en Inde. « Je lui fiche en l’air son déplacement. L’homme politique aura toujours ce genre de réaction égoïste. C’est d’abord : “Il me gâche mon voyage”, et ensuite seulement : “C’est quand même emmerdant qu’une grande banque vive ça.” Moi, je ne dormais plus, j’étais sous tension… » Dans son livre (La semaine où Jérôme Kerviel a failli faire sauter le système financier mondial, Les Arènes, 2010), l’ex-directeur de la communication Hugues Le Bret rapporte les propos que lui tint Jean-Pierre Elkabbach, de retour d’Inde où il avait couvert pour Europe 1 le déplacement du chef de l’État : « Nicolas Sarkozy était fou de rage, sa visite était reléguée en milieu des journaux alors que Kerviel faisait la une partout. »

Il faut imaginer l’état physique et psychologique de Daniel Bouton à l’époque, évaluer le degré de stress des membres de l’état-major de la banque ces jours de janvier 2008, les trahisons internes, la peur de tout perdre, la honte aussi. Comment se faire berner par un seul trader, et ce, alors que quarante-six alertes sur son comportement avaient été décelées, comme le prouvera ensuite une enquête interne ? Quelqu’un doit payer. Dans son ouvrage, Le Bret explique que le fait de ne pas avoir prévenu immédiatement Nicolas Sarkozy constitue, pour l’Élysée, « une faute originelle. Un crime de lèse-président. Nous allons apprendre à nos dépens que c’est inacceptable pour un homme élu sept mois auparavant avec 53 % des voix ».

Le 28 janvier, Nicolas Sarkozy lâche une première salve, publiquement : cette affaire, dit-il, « ne peut pas rester sans conséquence s’agissant des responsabilités, y compris au plus haut niveau […]. Je n’aime pas porter de jugement personnel sur les gens, surtout quand ils sont dans la difficulté, mais on est dans un système où, quand on a une forte rémunération, qui est sans doute légitime, et qu’il y a un fort problème, on ne peut pas s’exonérer des responsabilités ». Les mots qui portent, susceptibles de trouver un écho dans l’électorat populaire, sont soigneusement choisis. « Forte rémunération », cela parle aux gens, surtout quand des sondages viennent conférer à Kerviel une stature bien commode de Robin des Bois de la grande finance. Taper sur les banquiers, ça marche toujours. Entre David Kerviel et Goliath Bouton, l’opinion a choisi son camp, Nicolas Sarkozy l’a bien compris.

La déclaration du chef de l’État sonne le patron de la SocGen. « Je suis à Londres, chez des amis, lorsque je reçois deux SMS. L’un de ma mère, qui me rapporte les propos de Sarkozy me visant alors qu’il est interviewé à la télévision. Et un autre d’une amie, qui m’écrit : “Le nain t’en a encore balancé une.” Je me dis que ça tourne à la “Boutonmania”. J’étais complètement sidéré. À cette époque, je ne dormais que grâce aux somnifères. Quand on m’apprend la teneur de ses propos, je ne suis pas très surpris, s’agissant de Sarkozy. Il a la même réaction à chaque mauvaise nouvelle : il fait tomber une tête, et voter une nouvelle loi. Il ne peut pas s’en empêcher, il a besoin de trouver un coupable ; tout événement désagréable provient de l’erreur de quelqu’un. Dans ce cas précis, c’est “Bouton doit partir”. Sinon, comme à Grenoble, il vire un préfet. Dans la crise financière, il lui fallait un banquier, une tête à couper, c’est une façon de prouver sa compétence. Ce n’est pas réfléchi. Le fait qu’il le pense est une chose. Mais qu’il le dise… En outre, dans le cas précis de la Société Générale, il ne perçoit pas qu’il va créer un mouvement à l’opposé de ce qu’il cherche. »

En effet, le banquier a déjà proposé sa démission à son conseil d’administration. Qui, braqué par l’attitude de l’Élysée, la refuse, en bloc, annonçant qu’il « lui a renouvelé sa confiance ainsi qu’à l’équipe de direction ». Daniel Bouton, pour sa part, renonce à six mois de la part fixe de son salaire, soit tout de même 625 000 euros. Le conseil d’administration n’apprécie pas qu’on lui force la main. Les interventions politiques agacent profondément l’establishment financier. Et puis, qui mieux que Bouton peut résoudre une crise dont il n’est à l’évidence pas personnellement responsable ? Il résume : « Le conseil d’administration a donc cette réaction : il est évident que Bouton doit partir, mais pas maintenant. Kerviel a tué Bouton et son successeur potentiel Jean-Pierre Mustier, c’est une situation imprévue… Le CA se retrouve avec un président de la République qui lui dicte ce qu’il doit faire. Les administrateurs changent de position : on ne va pas donner satisfaction à l’autorité politique. Donc sa réaction va aboutir à l’effet inverse mais je pense en réalité que Sarkozy s’en fout complètement, il cherche à satisfaire l’opinion publique. Que Bouton s’en aille ou pas, il a obtenu ce qu’il voulait, il a une tête de banquier qu’il peut pendre à un crochet, sur son mur… Ma démission allait complètement de soi. Dans la journée du mercredi, je l’avais proposée au comité des nominations. Ils m’ont dit, en substance : “Vous restez, et on verra après.” Je ne pouvais rester en tant que président exécutif. Les déclarations de Sarkozy étaient évidemment dangereuses. Dans une augmentation de capital, ce type de commentaire mine la confiance de vos interlocuteurs. »

Le président de la République n’obtient pas ce qu’il souhaite. Et les charges répétées de ses snipers habituels n’ont pas plus d’effet. Daniel Bouton reste en place. Nicolas Sarkozy s’entête : le 26 février 2008, aux lecteurs du Parisien, il affirme, alors même qu’aucune question ne lui est posée sur cette affaire, que Daniel Bouton aurait dû assumer la perte de 4,9 milliards d’euros subie par sa banque en démissionnant. « Je ne comprends pas l’affaire de la Société Générale : quand le président d’une entreprise connaît un sinistre de cette ampleur et qu’il n’en tire pas les conclusions, ce n’est pas normal […]. Je n’ai rien contre Daniel Bouton. Mais on ne peut pas dire : “Je vais être payé 7 millions par an” et quand il y a un problème, dire : “C’est pas moi.” Ça, non, je ne l’accepte pas. » Deuxième attaque directe.

« Évidemment, on ne vit pas bien une telle pression, rapporte Bouton. J’ai été directeur de cabinet du ministre du Budget, je connais l’État. Il y a un aspect d’injustice profonde à ce que ces politiques que je connais, que j’ai côtoyés, ne regardent pas plus loin que le bout de leur nez. D’autant que l’on n’avait pas encore atteint le top de la crise financière ! Ils ont un raisonnement purement politicien, et pas institutionnel. On apprendra ensuite, avec l’épisode des stock-options, que cela reste un objectif de se payer physiquement Bouton. Cet impudent qui a osé bafouer l’autorité du président de la République ! C’est mon erreur de ne pas avoir compris que, malgré ma décision de me faire nommer président non exécutif, la machine Élysée allait avoir comme objectif de foutre Bouton à la porte. » Il parle souvent de lui à la troisième personne, mais il ne faut pas – plus ? – y voir de la suffisance, plutôt une façon de se mettre à distance. Prendre du champ. Se protéger.

Le 25 avril 2008, Nicolas Sarkozy lance une énième charge à l’occasion de l’intervention télévisée destinée à célébrer le premier anniversaire de son élection. Sans y avoir été invité, une nouvelle fois, il fusille Daniel Bouton, en direct, devant des millions de téléspectateurs : « Ce qui me gêne, ce n’est pas le salaire de son P-DG, mais quand on a des salaires de ce niveau, et qu’il y a un désastre de ce niveau, si le patron n’est pas responsable, et bien que doit penser le salarié, qui, lui, n’a pas le même salaire ? Je suis pour que le patron soit responsable quand il y a une erreur de cette nature. Eh bien, il faut que les gens en tirent les conclusions. » Au moins, c’est clair. Et pour être sûr que son message a bien été entendu, le président de la République remet le couvert, dès le 19 mai suivant. Profitant du dixième anniversaire de la Fondation de la 2e chance, où il a été invité par son ami milliardaire Vincent Bolloré, il fustige devant un parterre de grands patrons les dérives de l’argent roi. Et ne manque pas d’allumer sa tête de Turc favorite : « Quand le président d’une banque qu’on ne nommera pas connaît le sinistre que l’on sait, qu’il n’en tire pas immédiatement les leçons me scandalise. »

Le patron de la Société Générale encaisse, fait le dos rond. Mais il va commettre une erreur. Alors que sa banque se redresse, qu’elle subit la crise financière mondiale sans trop de dommages, il va encaisser de confortables plus-values liées à ses stock-options. Rien d’illégal. Mais le discours du chef de l’État a laissé des traces, et les banquiers n’ont pas bonne presse. Et puis, franchement, avait-il besoin d’encore plus d’argent ? Daniel Bouton réalise une plus-value de 1,3 million d’euros en moins de quatre mois, malgré la chute du titre en Bourse.

L’information, divulguée le 10 octobre 2008, provoque une onde de choc. Le secrétaire général de la CFDT François Chérèque, interrogé le 24 octobre sur Europe 1, juge « immorales » les plus-values boursières réalisées par Bouton, dont il réclame, avec la section CFDT de la Société Générale, la démission. « L’État vient de prêter environ un 1,7 milliard d’euros à la Société Générale. Pendant ce temps, le président de la Société Générale, déjà célèbre pour son manque de contrôle dans l’affaire Kerviel, vient de gagner 1,3 million d’euros en moins de quatre mois », tonne le syndicaliste. Malgré la chute de 63,47 % de l’action de la Société Générale et ses diverses conséquences, Daniel Bouton reste, selon le mensuel Capital, le banquier le mieux payé de France. Ses revenus annuels se seraient élevés en 2007 à 5,24 millions d’euros, dont 3,77 millions issus de plus-values de stock-options.

Le banquier prend de la distance. Il n’est plus que président non exécutif de la banque, Frédéric Oudéa est à la barre. Mais ces satanées stock-options vont provoquer un nouveau scandale, en mars 2009. « J’avais posé cette question : un président non exécutif doit-il être écarté des stock-options ? Or il n’y a pas de doctrine. Le comité des rémunérations de la banque a décidé de faire un plan de stock-options, d’en donner à Oudéa, et un peu moins à Bouton. Je n’avais rien demandé. Là encore, j’ai porté le chapeau. » Cette fois, c’est la ministre des Finances Christine Lagarde qui se charge de relayer la volonté du chef de l’État. La formule est assassine : « Il serait grand temps que Société Générale rime un peu plus avec intérêt général », assène-t-elle. Le chef de l’État n’entend pas laisser passer une si belle occasion. « On ne peut pas solliciter de l’argent public et faire un plan généreux de distribution d’actions et de bonus », attaque Nicolas Sarkozy, pour la cinquième fois, le 20 mars 2009.

Le 22 mars 2009, Daniel Bouton entend le message, las, et renonce à ses stock-options. L’affaire lui pèse de plus en plus. Sa femme, banquière elle aussi, constate les dégâts. S’inquiète. La souffrance, psychologique, est constante. Son mari passe par des phases de déprime aiguë. « Ma femme est intervenue, j’ai fait une petite dépression pendant la crise, confie-t-il. Vous vous sentez responsable du tsunami, des résultats de l’équipe de France de foot… Elle me dit : “Tu ne vas pas tenir, tu y laisses ta santé. Tu arrêtes !” J’ai été bien soigné, et j’ai un cérébral très solide. Le président de Fortis, lui, par exemple, n’en est pas encore sorti… C’est épuisant sous deux aspects : il s’agit d’une période de très grosse quantité de travail, ajoutée à un stress épouvantable. Vous êtes le seul à décider, les autres ne sont que des conseils. Il ne faut pas faire d’erreur dans la gestion de la crise. Je ne me suis pas enfermé dans la cellule de crise : c’est un lieu de paralysie, il faut savoir s’en extraire. Elle se réunissait tous les jours à 18 heures, je voyais le directeur à l’issue. Il faut sortir de la vague qui vous ballotte pour rester le plus froid possible. Sarkozy sait bien faire cela. Je me suis mis à sa disposition dès le huitième jour, c’est lui qui n’a pas souhaité me voir. »

Le 29 avril 2009, Daniel Bouton annonce sa démission, devenue inéluctable, de la Société Générale, cette banque qu’il a contribué à consolider. Il ne touche pas d’indemnités de départ. Financièrement, il n’est pas vraiment à plaindre non plus. Depuis avril 2010, date de son soixantième anniversaire, il perçoit sa retraite annuelle de… 730 000 euros. Comme son contrat de travail le prévoit, il a acquis des droits à pension représentant 58,2 % de sa rémunération 2007 (1,25 million d’euros) exerçables « lorsqu’il fera valoir ses droits à la retraite de la Sécurité sociale ».

Il tente de profiter de sa nouvelle vie. Travaille toujours, mais moins. « Je n’ai été candidat à rien, pas la peine de chercher les baffes ! Il eût été élégant de la part de Sarkozy de me proposer quelque chose, il n’a pas dû y penser », dit-il, pince-sans-rire. Dans la rue, on le salue, on l’aborde. On le félicite, mais oui. « Mon visage est sorti de l’anonymat. Des gens m’interpellent. Neuf fois sur dix, c’est pour me remercier d’avoir sauvé la Société Générale. Sauf une dame de Neuilly, une fois, dans une queue au cinéma du palais des congrès. Elle m’a dit : “Ce que vous avez fait, ce n’est pas bien pour la France.” Beaucoup m’ont dit : “Vous avez résisté.” Il est vrai qu’il y a une extrême violence chez Sarkozy. J’estime que je dois être jugé sur quelques paramètres : la Société Générale va bien, elle a traversé la crise, les 150 000 employés n’ont pas souffert, les clients sont restés. Avec le recul, je n’agirais pas différemment, y compris s’agissant du moment où j’ai prévenu les autorités politiques. Même si j’en ai subi les conséquences. »

Dans le milieu bancaire, on estime que sa gestion de la crise Kerviel a été une réussite. Même si l’on reconnaît que le pouvoir exorbitant donné aux traders fait peser une menace intolérable sur l’économie mondiale. Sur ce plan, Daniel Bouton est responsable, comme tous les banquiers de la place de Paris. Ni plus, ni moins. Lors du procès de Jérôme Kerviel, finalement condamné en octobre 2010 par le tribunal correctionnel à cinq ans de prison, dont deux avec sursis (décision dont il a fait appel), il a eu des mots forts. Douloureux. Il n’était plus ce patron sûr de lui, il était ce père de famille qui cherche à comprendre le drame qui a failli emporter son foyer. « Je suis triste », a-t-il lâché simplement devant le tribunal. Voilà ce qu’il lui reste de cet épisode si marquant. L’acharnement populiste du président de la République. Et surtout une profonde mélancolie.

Sarko M'a Tuer
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